Poètes du tanka

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Principes du tanka

 

Hisayoshi Nagashima, co-fondateur de la Revue du tanka international, créée en octobre 1953 avec Jehanne Grandjean, écrivait ceci à propos du tanka : " Le mot Tanka signifie poème court. Il se compose de 5 vers alternés de 5, 7, 5, 7, 7 syllabes, soit un tout de 31 syllabes. Ceci est sa particularité… Autrement dit cette forme est faite pour exprimer ce sentiment momentané mais qui peut être profond, philosophique ou douloureux…. Les mots qui le composent doivent être musicaux… "

 

Et pour accéder à l’écriture du tanka, nous nous réfèrerons à Fujiwara no Teika (1162 – 1241) qui prônait la réintroduction du lyrisme dans la poésie. Selon lui, " Sens et expression seraient comme les deux ailes d’un oiseau. " De sorte qu’un des principes forts du tanka réside dans la juxtaposition entre deux éléments. D’une part, la réalité du monde dans lequel nous vivons, attentifs à lui, à travers la vue, l’ouïe, l’odorat et le toucher. D’autre part les sentiments que cela nous inspirent.

 

Maxianne Berger, auteure contemporaine précise : " Traditionnellement, le tanka est plus personnel que le haïku, on considère d’avantage le sentiment, l’état et le statut du poète en tant qu’être humain… La beauté de la nature et les soucis du cœur humain – l’amour, la mort, et l’existence dans l’immensité de l’univers. Pour la partie " nature " la description est plus précise, concrète. Elle porte sur ce que l’on peut percevoir. Quant aux soucis, ils sont plus abstraits, émotifs, sentimentaux, et portent sur ce que l’on ressent intérieurement."

 

De fait, écrire cinq vers de 31 syllabes ne suffit pas. La forme et le style ont leur importance et plus encore le sens, comme le soulignait Teika. C’est apprendre à se servir des résonances, des allitérations, c’est donner une " couleur " au poème.

Maxianne Berger rajoute que c’est " la juxtaposition d’une image concrète ou d’une action qui amène le lecteur vers l’abstraction d’un sentiment et lui éclaire les préoccupations du poète… Le poème, empruntant une syntaxe sans grammaire obligatoire, se compose de fragments, même disparates, d’images et de sentiments. Les troisième ou quatrième vers peuvent fonctionner comme pivot, rejoignant de façon elliptique ce qui précède à ce qui suit. Le tout, cependant, réussit à suggérer une épiphanie de la nature humaine sans mentionner son nom abstrait, à synthétiser une vérité qu’on peut sentir sans pouvoir la saisir autrement. "

 

Et la modernité du tanka, nous la devons notamment à une femme, Tawara Machi pour qui le tanka est lié à la vigueur de l'instant, en y insufflant une sensibilité en phase avec la modernité urbaine. Elle écrira de sa poésie : " A travers un rythme régulier, les mots commencent à s'ébattre pleins de vie, à répandre un éclat énigmatique. C'est ce moment que j'aime. "

Patrick Simon

Directeur de la Revue du tanka francophone.

Une Revue sur le tanka

 

La Revue du Tanka Francophone

 

 

Quelques poètes du tanka

Ishikawa Takuboku

Machi Tawara

Niji Fuyuno

 Ryôkan

Teishin

Et quelques tanka de moi

Mes livres de tanka

  Modernité du tanka :

La modernité s’exprime sur le fond (le choix de sujets contemporains) mais aussi sur la forme, en développant le principe du shasei (le croquis sur le vif). Quant à la forme, elle reste un poème bref, fixe, de 31 syllabes, ou sons.4

 

 

Ishikawa Takuboku est un poète japonais, né le 20 février 1886 et mort de tuberculose le 13 avril 1912 à l'âge de vingt-six ans.

Son père avait la charge d'un temple bouddhique à Shibutami, dans le nord du pays. Takuboku se détourne vite de brillantes études pour se passionner pour la poésie. Mais sa maladie et d'autres aléas de sa vie personnelle le conduiront à une existence précaire, l'obligeant à gagner sa vie comme instituteur, journaliste, correcteur d'imprimerie.

Considéré comme un Rimbaud japonais, il est fameux comme auteur de tanka et de poésie de style « moderne » (shintaishi ou shi) ou « libre » (jiyushi). Il fut d'abord membre du groupe de poètes naturalistes Myojo, puis se joignit au groupe dit « socialiste ».

Ses principales œuvres sont des tankas et un journal intime :

  • Ichiakuno no suna (Une poignée de sable) 1910
  • Kanashiki gangu (Jouets tristes) publié en 1912, après sa mort

 

 

Ryôkan (son vrai nom es tYamamoto Eizô) est né en 1758, mort en 1831. Poète de haïku et de tanka

Voici quelques-uns de ses tanka :



à ce monde
j'ai fermé la porte
sans cesser
pour autant
d'y rester attentif


si on me demande comment
j'ai pu renoncer au désir
sous le ciel
quand la pluie tombe, elle tombe
quant le vent souffle, il souffle


je n'ai rien de spécial
à vous offrir
juste une fleur de lotus
dans un petit vase
à contempler longuement

[i]Ces tanka sont extraits du livre "Ryôkan, moine errant et poète", Hervé Collet et Cheng Wing Fun, traducteurs, éditions Albin Michel, inédit Spritualité vivantes, 2012, ISBN 978-2-226-24073-6

Ryôkan
Teishin, poète femme, ( 1798 - 1872 ), jeune moniale d'obédience zen Sōtō et que Ryōkan avait rencontrée en 1827, a écrit souvent en compagnie de ce poète-moine. Voici quelques-uns de ses textes :

seule une fleur de lotus
disposée dans un vase
garde ermitage
sa fragrance
remplissant la salle


La lune, j’en suis sûre,
Brille de sa vive clarté
Bien au-dessus des montagnes,
Mais les nuages sombres enveloppent les sommets de leur obscurité.
Ici avec toi
Je resterai
Des jours et des années sans nombre
Silencieuse comme cette lune brillante
Qu’ensemble nous avons contemplée.

Poème d’amour à Dogen


Et extraits de "La rosée d'un lotus - poèmes de Teishin et Ryôkan (éditions Gallimard - ISBN 978-2070765607) :

Est-ce vraiment toi que j'ai vu
ou cette joie que je ressens encore
est-elle seulement un rêve?

on voit au loin les vagues
elles viennent
elles repartent
Teishin et ryôkan


Machi Tawara


 

Bien que millénaire, le tanka reste toujours populaire au Japon même. A la suite du succès phénoménal de Sarada Kinenbi (Salad Anniversary, 1989 dont la version originale japonaise Sarada Kinenbi a été publiée en 1987), recueil de tankas vendu à plus de huit millions d'exemplaires, Machi Tawara, une jeune poète de 26 ans, a reçu 200,000 tankas de ses lecteurs et lectrices.

 

Le site Internet de Machi Tawara

En décembre 2007 et en mars 2008, la Revue du Tanka francophone a publié plusieurs poèmes de Machi Tawara

Pour en prendre connaissance

 

 

Quelques-uns de ces poèmes :

Traduction depuis le japonais par Fumi Wada et Denis Schaeffer (Québec / Canada)

1)陽のあたる壁にもたれて座りおり平行線の吾と君の足

Assise le dos à un mur ensoleillé, nos jambes sont parallèles.

2) 沈黙ののちの言葉を選びおる君のためらいを楽しんでおり

Tes mots hésitants suivant un silence gêné sont adorables.

3)「また電話しろよ」 「待ってろ」 いつもいつも命令形で愛を言う君

"Rappelle-moi !" "attends !"... ta façon d'exprimer ton amour est impérative.

4)たっぷりと君に抱かれているようなグリンのセーター着て冬になる

Je suis blottie dans mon chandail vert comme dans tes bras... l'hiver arrive.

5)「嫁さんになれよ」 だなんてカンチューハイ二本で言ってしまっていいの

"On se marie !" es-tu raisonnable avec seulement deux verres d'alcool ?

 

 

 

 

Niji Fuyuno

Née à Osaka, Niji Fuyuno, pseudonyme de Junko Yotsuya, a habité plusieurs années à Tokyo où elle est décédée le 11 février 2002.

Sa carrière a commencé par la peinture où elle exprimait sa poésie par des lignes et des couleurs dans un espace cadré. Puis, étudiante, elle a été touchée par les poèmes de l'anthologie Shinkokin-Shû (Nouveau recueil de jadis et naguère; 1206) et par les pièces de théâtre de Monzaemon Chikamatsu (1653-1724).

Une autre grande source d'inspiration a été La Poétique de l'espace, de Gaston Bachelard, qu'elle a lue en japonais. Les mots lui sont venus comme la lumière: la couleur, la ligne et le mot coulaient ensemble. Elle aime explorer les possibilités du poème à forme fixe comme le haïku et le tanka, ces petits cosmos qui donnent l'éternité magnifique.

On retrouve ses poèmes dans la revue Mushimegane (Loupe) qu'elle a fondée avec Ryu Yotsuya en 1987.

Je démêle les traits des arbres du tableau de Mondrian
en pensant aux pas cadencés
de Taketori-no-okina

(Taketori-no-okina no hochô omoi tsutsu Mondorian no ki no sen hodoku)

*Taketori-no-okina: "Taketori-no-okina" est un personnage du conte japonais ancien "Taketori monogatari"; ce vieillard a trouvé la princesse Kakuyahime dans un bambou luisant.

La fleur rouge de prunier est arrivée à la fin du rêve,
sa couleur rouge dense est enceinte d'une porte
de mer

(Akai ume yume no owari ni kokunatte sonomama umi no tobira o migomoru)


Je traverse le bois
en faisant flotter le liseré de l'air
pour acheter du détergent pour la laine

(Mori yuku no kûki no suso o hirato kaesi te keorimono-yô senzai kai ni)

Tout autour du bras,
mon pansement, tendrement, me serre contre lui,
et le ciel du mois de juin, lui auissi semble pansé

(Hôtai ni ude no mawari o yawarakaku osaeraretaru rokugatsu no sora)

Paon, paon, vous balayez un jardin
déplaçant la couleur dans le vallon de cloches

(kujaku, kujaku, anata wa niwa o haite iru kane no tanima no iro o zurashi te)

Je ne sais les yeux de qui dessinaient cette courbe-là,
sur ma véranda,
il y avait le filet éphémère de la lueur du soir

(Donata no manazashi no egaku kyokusen ka shirane do yûgure no asaki engawa no hikari)

Sans bruit, je monte...
sans bruit, je descendes les marches...
partout, la poussière,
la poussière du printemps
m'enveloppe de son parfum.

(Kaidan o oto naku nobori orite kuru haru no hokori no nioi no naka o)

 

 

 Patrick Simon :

Anthologie du tanka francophone Le murmure des pins - tanka
Une anthologie du tanka,  sous la direction de Patrick Simon, 2010 : Détails et achat "Tout proche de moi", tanka, par Patrick Simon, 2008 : Détails et achat "Le murmure des pins", tanka de Patrick Simon, 2014 :
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